Hommages

Vous avez été quelques uns à souhaiter la mise en ligne des hommages rendus à Michèle Guigon par ses proches lors de la cérémonie du
9 septembre 2014.
Les voici.

Musiques

Pour écouter les musiques, cliquez sur le titre dans le lecteur ci-dessus.


Textes



Nathalie Grauwin :
Michèle Manceaux dit de Marguerite Duras dans ce monologue qui est à l’origine de notre rencontre : «Elle agrandit ma vie comme elle agrandit tout, du particulier au général, du quotidien au métaphysique et j’ai la chance d’assister aux métamorphoses». Cette chance je l’ai eue. Je remercie la vie de t’avoir mise sur mon chemin. «Fais confiance à la vie, elle, elle sait» me disais-tu. J’ai appris à lui faire confiance et j’ai découvert à travers ton enseignement, la joie et le dépassement de soi. Il me faut aujourd’hui, il nous faut aujourd’hui mettre en œuvre cet autre enseignement : «Accepter, dépasser, transformer».
Tu as bouleversé mon existence et bien d’autres encore. Merci

Et ce passage dans « Le trésor des humbles » de Maurice Maeterlinck, ce passage souligné de ta main, ce livre que je t’avais offert :
«N’est-ce pas le silence qui détermine et qui fixe la saveur de l’amour ? S’il était privé du silence, l’amour n’aurait ni goût ni parfums éternels. Qui de nous n’a connu ces minutes muettes qui séparaient les lèvres pour réunir les âmes ? Il faut les rechercher sans cesse. Il n’y a pas de silence plus docile que le silence de l’amour : et c’est vraiment le seul qui ne soit qu’à nous seuls. Les autres grands silences, ceux de la mort, de la douleur ou du destin, ne nous appartiennent pas. Ils s’avancent vers nous, du fond des évènements, à l’heure qu’ils ont choisie… ceux qui aimèrent beaucoup savent aussi des secrets que d’autres ne savent pas ; car il y a, dans ce que taisent les lèvres de l’amitié et de l’amour profonds et véritables, des milliers et des milliers de choses que d’autres lèvres ne pourront jamais taire»
A toi
Ta bouille



Myriam Boccara :
«Elle nous a laché et elle dort». (Anne Artigau)

Un artiste qui disparaît laisse une trace.
Suivons la dans le silence de cette disparition.
Au petit matin de brumes fantomatiques, la vie continue avec elle si proche, si douce et simplement absente.
C’est à toi Anne que je m’adresse, à nous, à notre jeunesse sur la ligne 7, où le théâtre nous attendait au bout : Mairie d’Ivry.
Nous avions 20 ans, nous venions de nos terres : BOUBOU, LULU, BOCCI, POUNET comme elle aimait à nous nommer, au Théâtre des quartiers d’Ivry : laboratoire, pépinière dans les préfas de la rue Marat.
Au retour, la nuit je me souviens d’elle, Michèle Guigon née Pounet, cette fille de Belfort, ronde, riante, éclatante, débordante qui faisait beaucoup de bruit dans la rame, une bourrasque.
Le théâtre bien-sûr mais le spectacle surtout l’animait. Une énergie d’animal fauve que Jérôme Deschamps a su révéler au souffle d’un accordéon.
Michèle aux cheveux courts vêtue de tee-shirts rayés, d’anoraks de basquets, quel cirque ! Pas moyen d’en placer une.
Petite sœur de Zouc, sans peur et sans reproches, vierge et brute, infatigable machine à sons.
Elle cherchait tout haut.
Carpettes, nous étions, aplaties par sa verve polyphonique.
Michèle Guigon avait quelque chose, à dire , à crier plus fort que le bruit du métro dans la nuit. Nous ne pouvions empêcher cette incessante gesticulation. Nous avions juste à assister à cet accouchement effarant de l’acteur.
Aujourd’hui nous célébrons cette énergie, cette gniaque au delà de l’absence. Que ces premiers cris de bébé qu’elle aimait à imiter nous laisse d’elle le leg d’une rage de vie inextinguible.
Paix à son âme.



Marie-Luc Malet :
Dis, Michèle, est-ce que là où tu es, le poème apparaît encore ? Comme il apparaissait chez toi, au-dessus de la table qu'on avait débarrassée de tes petits papiers griffonnés, posé dans l'air... Bien sûr que le poème apparaît encore, puisque là où tu es, c'est ici (dans mon cœur). Je t'en dis encore un, aujourd'hui, de Jean-Pierre Siméon* :


On a beau s'entourer des gestes les plus tendres, s'armer de lampes dans les coupe-gorge du chagrin, assembler pour mémoire l'heureux faisceau des rivières, les fraîcheurs du fruit, les siestes du verger aux parfums amicaux,
les égarés sont nos pairs et le même froid souille nos lèvres, la même nuit nos fronts.
Or quand j'aurais dit le surcroît de crainte et le délaissement, quelle grâce en adviendrait ?
Jusque dans l'innombrable déclin, nous serons gardiens de la frêle saveur, nous nous retournerons en faveur de l'éclair comme une branche amoureuse dans les cendres du soir.
Nous chercherons asile comme un pâtre dans l'éclaircie des granges et si la foudre vient là brûler notre sommeil, nous repartirons avec notre sac de fatigue. Avec pour seul argument les versants inconnus et les projets étincelants de la tendresse.

* In Les douze louanges


Patrice Thibaud :
Michèle,

La scène est un drôle d'endroit, qui en panique certains et en attire d'autres.

Pour ceux qui ont choisi d'y monter, on y entre toujours avec appréhension.

On a besoin d'y être rassuré.

Michèle, tu étais mon capital confiance.

Tu as toujours répondu présente avec enthousiasme quand j’ai fait appel à toi pour mes spectacles. Te voir arriver au premier jour de répétitions accompagnée de Susy était une grande joie doublée d’un grand soulagement.

Car outre le fait que je savais que nous allions nous amuser comme des enfants dans une cour de récré c'était la promesse d'une complicité sans faille et d'une ligne artistique irréprochable.

Longtemps après Duo histoire d’amourire, le cabaret du P’tit matin, et diverses joyeuses aventures théâtrales vinrent donc Cocorico et Jungles avec autant de rires et d’émotions partagés.

Avec la complicité de Susy, priorité était donnée à l’humour, à la musique et à la poésie.

Cahier des charges difficile sur le papier mais qui paraissait tellement facile avec toi en répétition.

Tu m'as appris à accepter d'être tendre sur un plateau, (et ce n’était pas gagné pour un gars du sud-ouest...) à oser y extérioriser mes failles et mes blessures, à me laisser guider en terrain inconnu sous ton regard bienveillant.

à prendre le temps pour travailler vite,

à se perdre pour mieux s’y retrouver,

à pouvoir tout remettre en question, jusqu'au dernier moment, parfois même jusqu'à la dernière minute avant la première(au début, ça fait un peu peur...).

Avec le temps, j'ai aussi appris à décoder tes rires, tes tics, tes silences, tes regards, tes sourires et tes colères, aussi.

Car cette émotion que tu savais si bien donner au public comme aux acteurs, était chez toi presque palpable tellement tu l’avais à fleur de peau.

Tout cela marque à jamais.

Merci, 
merci Michèle,
merci mille fois de m’avoir fais partager ce merveilleux chemin avec toi.

Un jour viendra où nous te rejoindrons là haut.

Ensemble, nous ferons rire et chanter le paradis...sur un p'tit air d'accordéon.



Isabelle Favier :
Michèle, parmi la foison de mots échangés entre nous, il y a très peu de temps tu m’as écrit : « certains silences ne sont pas muets… ». Depuis tu t’es tue et ce silence n’est pas muet - pas tout à fait… Tes paroles, ton rire résonnent en moi et je voudrais pouvoir reprendre la discussion laissée en suspens….

Je t’ai connue faisant ton métier. Ton métier d’artiste que tu aimais tant et dont tu parlais si bien. Un vrai chef d’orchestre avec toujours plusieurs projets en route. Mettre en scène, écrire, travailler un nouveau spectacle, écrire, composer, chanter, jouer de l’accordéon, écrire encore. La vie va vite. Tu vas vite dans ta tête et tu es à fond dans ce que tu fais. Et je comprends combien ton métier, c’est TA vie, TON œuvre, c’est TOI… Chacune de tes phrases, chacun de tes mots reflète une vérité profonde pour ce moment-là.

Si tu allais vite à penser les choses, à les mettre en action ou en musique, tu savais aussi prendre le temps. Et je garde en moi une Michèle qui prend le temps d’aller d’un point à un autre, avec le tortillard plutôt que le TGV, à faible allure pour goûter les paysages changeants, avec le vélo plutôt que le métro. C’était aussi pour mieux poser ton regard sur le monde, avec ta curiosité bienveillante et ce désir fou d’embrasser ce qui est à portée des sens.

Tout naturellement nous avons parlé d’autre chose que de spectacles ; très vite, on franchissait la ligne jaune des grands espaces de l’au-delà. La vie va où ? La mort va où ?

Tu m’as beaucoup parlé de Saint François d’Assise que tu lisais avec passion comme tout ce que tu aimais. Sa vie d’humilité et de simplicité résonnait en toi.

A ton tour, tu as fait don. En écoutant, en conseillant, en encourageant. Combien sont-ils qui sont venus chanter au Limonaire par ton entremise ? Combien sont-ils que tu as aidés, soutenus, recommandés dans le métier ?

Et moi je me suis nourrie de ton énergie, de ton enthousiasme, de ta générosité, de ta vitalité, de ta richesse d’âme. Tu m’as donné à voir et à entendre parmi les plus belles choses de notre temps. Merci.

Certains silences ne sont pas muets. La poésie est un fil qui nous relie hors du temps.



Frédéric Lopez :
Il est des artistes qui enchantent la vie. Michèle était de ceux là.
Elle est entrée dans ma vie il y a deux ans, exactement. Je me souviens encore des mots lorsqu'on m'a parlé d'elle : exigence en faisait partie.
Et puis dès la première rencontre ça a été un coup de foudre.
Sur l'antenne de France Inter, dans notre équipe elle a apporté l'humour, la poésie, la malice, la gentillesse, et tout ça au service de l'émerveillement. Émerveillement pour la vie et ses petits rien. Une oasis dans un monde qui se se laisse parfois aller aux facilités du cynique et du pessimisme.

J'apprendrais plus tard que son histoire personnelle lui avait donné une sacrée légitimité pour célébrer l'existence.

Sa virtuosité avec les mots, en a subjugué plus d'un. Je me souviens de l'émotion d'Omar Sy, ou du message de gratitude de Jamel Debbouze, après les portraits que Michèle leur avait consacré.
Je me réjouissais à l'idée de la côtoyer encore plus, et de la faire connaître au plus grand nombre lors de ce projet pour la télévision qui nous enthousiasmait tant.

Son départ m'attriste et me choque. Alors je me répète que j'ai eu une chance folle de rencontrer une si grande artiste et une si belle personne. De celles que l'on rencontre peu. Michèle, merci d'avoir existé.



Nicole Ferroni :
Ma chère Michèle, Ma chère m'dame Guigon,

Ton amie Lydie a eu la gentillesse de me proposer de t'écrire aujourd'hui car, comme toi, j'aime bien chatouiller les ondes de la radio, et elle a pensé que peut-être, par un texte, j'arriverais à mettre un peu de rose sur le gris du tableau.

Pour dire vrai, je n'ai pas trouvé beaucoup matière à sourire dans le fait que tu sois partie.
Mais ces derniers jours, une petite chose m'aura tout de même tiré un sourire... petite chose qui ne t'aurait sûrement pas échappée, je crois, si tu avais été là.

Jeudi dernier, quand j'ai appris ton décès, passé le choc, passées les larmes, j'ai eu envie, peut-être comme d'autres, de t'écouter un peu pour me rappeler ta voix, tes mots, et j'ai cherché à entendre une de tes chroniques.

Sauf qu' après avoir cliqué sur la petite fenêtre de mon ordinateur, j'ai eu le droit, avant de pouvoir t'entendre, à un bel encart publicitaire qui souhaitait visiblement de me convaincre d'acheter des pneus neufs pour ma voiture.

Outre le fait que je trouvais que ce n'était ni l'endroit, encore moins le moment de changer de pneus, j'ai surtout trouvé la démarche très déplacée de la part de mon ordinateur.

Je me suis dit : « Et ben, si elle avait vu ça, qu'est-ce-qu'elle aurait dit Mme Guigon ?».

Sûrement tu aurais dit :
« Ils sont pas un peu gonflés quand même ? non, pas les pneus, les types. Les types qui font ça.
Les saligauds, faire ça sur mon dos, faire de la réclame sur mes vieux os... Ca veut dire quoi ? Ca veut dire que si on veut être triste, il faut acheter d'abord ? Et la tristesse, ça se vend la tristesse ?».

Bref, je le sais, comme pour le tarifs obscurs de la Sncf, tu aurais pousser une de ses gueulantes poétiques, qui les aurait renvoyé les types dans les cordes. Enfin, dans tes cordes... dans tes cordes vocales.

Ou alors, je me suis dit que peut-être, au contraire, tu serais lancée, comme à la radio, à la recherche du beau caché dans le vilain, pour trouver la douceur coincée dans les choses moches.

Peut-être que tu aurais dit « Mais changer de roue, c'est une métaphore très à propos, Nicole. Moi, j'ai peut-être la rustine qui a lâché, mais derrière, il faut pas que ça s'arrête : Faut que la roue tourne, que la vie avance, que les choses roulent.. »

Bref, tu aurais peut-être formulé des drôles d'images, des métaphores, des parallèles...
Parce que c'était une de tes forces: faire des parallèles. Puis les croiser.
Tordre les choses bien droites pour leur donner un nouveau point de vue, changer d'angle, changer de porte d'entrée, voire passer par la fenêtre et surprendre la vie.
Et de la vie, plus que d'en faire des chroniques, tu en faisait des croquis que chaque semaine, à nos oreilles, tu secouais dans le studio 106 pour qu'on entende leurs bruits.

Alors pour toutes ces fois, où tu as tordu notre esprit dans le bon sens du terme, et où avec ton large sourire vêtu de rouge, tu as ouvert de nouvelles fenêtres dans notre façon de regarder le monde, M'dame Guigon, pétillante collègue radiophonique et amie, nous te disons : MERCI.



Chantal Morel :
Michèle disait qu'elle avait fait malade, mais elle avait surtout fait amitié. Michèle c'est l'amie majuscule.

La mort ne tue pas l’amour.
Elle impose une absence qui est une douleur.
Mais la force des mots, leur miracle presque,
Est de, sinon combler l’absence, du moins
La transformer en invisible présence
Et du silence,
Faire un écho rassurant.
Michèle Guigon



Susy Firth
Une des choses qui m’a aimantée vers Michèle était sa quête de sens : celui de la vie, puis celui qu'elle donnait à son travail. Voici son crédo, qu'elle a écrit il y a longtemps, et qu'elle a peaufiné au fil des années :

MON CREDO

«L'Art est la création d'une émotion indicible qui prend sa source au plus profond de l'être – et ceci autant chez le créateur que chez le spectateur – et qui régénère l'envie de vivre malgré un monde infernal.

Pour atteindre à ce superbe mouvement, mon moyen est le quotidien, ce quotidien qui paraît pauvre. Au lieu de le laisser dans sa pauvreté apparente, je m'efforce de retrouver sa richesse, son héroïsme. Prendre le temps et apprendre la manière de poser le regard sur lui pour qu'il révèle son extra-ordinaire alors qu'il se répète chaque jour.

Lutter contre l'oubli de cette richesse par le rire, la poésie, le drame ou la musicalité, pour les autres et pour moi, tels sont la raison, la passion, le sens de mon travail.»

Michèle GuiGon.



Lydie Jeannot :
Je veux ne pas réduire Michèle à son «individualité» car, pour moi, elle est devenue elle-même à présent cette véracité dont elle témoignait lorsqu’elle parlait et qui nous touchait au plus profond de nous-mêmes.
Le monde se délite sous le mensonge ; à son insu, il a soif de Vérité, aussi impitoyable soit-elle : « ACCEPTER L’INACCEPTABLE », voilà pour ma part, ce que j’ai appris dans l’épreuve vécue auprès d’elle.
Merci, Michèle



Meriem Menant :
Michèle, l’amie de joies et de lumières chatouillantes, Michèle la Guigon,

t’es partie, t’as lâché le guidon et t’as dévalé la pente pour prendre l’élan pour la côte de devant qui donne sur le ciel et fffou t’as rejoint la lumière que t’avais en toi déjà, c’est pourquoi t’as pu nous relier 100 pour 100 et 24 sur 24 et 7 sur 7 et sans répit nous relier à la beauté de la vie et du être-vivant et de l’amour, une leçon que tu nous as donnée tout le long de nos existences et le chemin s’est fait plus gai et plus juste.

Merci pour ces rééquilibrements d’amour et de droiture d’humanité.

Tu l’as pas gâchée ta vie à des bêtises, ta vie d’humaine tu l’as pas gâchée.

Merci alors merci merci et doivent être bien contents là-haut, les veinards, que tu as rejoints.

Bisous bisous sonnants et claqués sur les joues parce que tu les faisais bruyants les bisous, pas mijaurés, pour sonoriser le lien que tu nous rappelais en nous quittant.

Bye bye…



Michèle Guigon a été inhumée au petit cimetière d'Asquins en Bourgogne, au pied de "La Colline Éternelle" de Vézelay.